lundi 20 mai 2024

Le rôle principal du médecin n’est pas de soigner

Et s’il y en a un qui doit bien se retourner dans sa tombe, c’est le vieil Hippocrate (env. 460-377 av J.-C.), « père de la médecine moderne » dont il a, avec d’autres, fixé les merveilleuses ambitions et les vraies limites

Lui qui était à la fois médecin, philosophe, amoureux de la beauté et de la vérité, disait qu’il fallait « avoir dans les maladies deux choses en vue : être utile, ou du moins ne pas nuire » [2]. 

Pour élaborer ses traitements, Hippocrate expliquait que la nature possède en elle-même des forces de guérison

Le rôle principal du médecin est d’aider la nature à faire son travail plutôt que de la diriger arbitrairement. 

Ce qui implique de savoir aussi s’abstenir, de se retirer même, lorsque l’intervention aura toute probabilité d’aggraver le mal. 

Aujourd’hui, en France, les étudiants en médecine ne prêtent plus le serment d’Hippocrate, contrairement à une idée reçue. 

Ils se contentent d’un « serment médical » nettement plus aseptisé [3]. 

Mais il n’y a pas si longtemps, leurs prédécesseurs faisaient ce serment d’une puissance et d’une exigence qui mettaient la pleine lumière sur la profondeur de leur mission. Et la haute tenue morale du rôle de médecin. 

Mais jugez-plutôt, à partir de ces quelques extraits de la traduction qu’en a faite au XIXe siècle le médecin et homme de lettres Emile Littré :
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants : 

Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. 

Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. 

Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire [4] abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté. 
Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.  

Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. 

Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! » 

Alors oui, on peut dire qu’il s’agit d’une promesse sacrément ambitieuse 

Celle d’un médecin qui n’est pas seulement un « expert » scientifique, mais avant tout un humaniste, un gentilhomme sincère, courageux et dévoué. 

Un homme qui se situe à hauteur d’homme. 

Et c’est lui, et à travers lui tous ceux qui ont juré d’être ce médecin, qui se retrouvent trahis par les affairistes du bistouri que nous évoquions au début de cette lettre. 

Mais ceux-là sont-ils les seuls à avoir sombré dans ce relativisme d’où l’argent n’émerge plus que comme le dernier repère ? 

Quels médecins nos jeunes étudiants de la faculté rêvent-ils aujourd’hui de devenir ? Quelle vision ont-ils de leur carrière ? Est-ce une vocation, un gagne-pain, un moyen de faire fortune, un métier comme un autre ? Un peu de tout cela à la fois ? 

Ils répondront à ces questions par leurs actes, avec comme tous les hommes leurs fragilités et leurs faiblesses. 

Mais ce qui est en train de changer – ce qui a même déjà changé – c’est que, quoi qu’ils fassent, ils auront de plus en plus en face d’eux des patients concernés et acteurs de leur propre santé. 

Le chemin se fera à deux, médecin ET malade. En tout cas, c’est ce qu’on doit espérer ! 

Voilà, je vous laisse pour aujourd’hui sur ces réflexions. 

Et si elles devaient vous « taper un peu sur le crâne », voici un petit rappel utile : n’oubliez pas qu’avant qu’on parvienne à synthétiser l’aspirine, en 1899, les hommes connaissaient depuis bien longtemps les propriétés de l’écorce de saule blanc pour soulager les maux de tête. 

Ces propriétés ont été reconnues récemment par la commission E allemande, seul organisme mandaté par un gouvernement pour attester de l'efficacité des plantes médicinales [5]. 

La dose efficace est comprise entre 60 et 240 mg de salicine par jour (attention à bien choisir un extrait où la teneur en salicine est indiquée.) 

C’est donc avec le crâne clair et l’esprit affûté que l’on peut « repartir en pensée », et méditer cette phrase de la journaliste Delphine de Girardin, morte en 1855 : La susceptibilité

La susceptibilité désigne la tendance pour une personne à être exagérément sensible à la critique, ce qui la conduit à avoir, face à son interlocuteur, un ensemble de réponses et comportements inadéquat


Être susceptible, pas facile tous les jours

Les personnes se qualifiant de « susceptibles » déclarent souffrir au quotidien d’un tel trait de caractère. Une remarque ou une situation en apparence anodine peut avoir un fort retentissement émotionnel chez ces dernières. Rancœur, colère, agressivité, isolement, honte, repli sur soi, bouderie sont des sentiments bien connus des victimes.


Pourquoi devient-on susceptible ?

Une origine traumatique. La susceptibilité peut construire, en flux tendu, un édifice de traces pénibles dans la mémoire, lesquelles pourraient se réactiver au moindre stimulus. Initialement, ce dernier renverrait à un événement antérieur qui portait en lui le germe d’un traumatisme : « il faut toujours au moins deux traumatismes pour faire un traumatisme ». Ce souvenir peut être bien défini ou au contraire être passé totalement inaperçu.

Cela expliquerait, en partie, pourquoi une critique insignifiante a priori, peut provoquer un choc émotionnel. L’individu susceptible ne réagirait donc pas seulement à la critique mais à l’ensemble des souvenirs ou des situations analogues qu’elles appellent.

Un phénomène multifactoriel. La susceptibilité s’explique également par certaines prédispositions génétiques ainsi qu’un besoin insatiable de reconnaissance et d’estime de la part des autres. Par la suite, la susceptibilité s’autoalimente en créant un cercle vicieux, dont la prophétie auto-réalisatrice et l’utilisation d’anciens circuits neuronaux sont les principaux artisans.

La surcompensation d’un complexe. Les auteurs Bénédicte Nadaud et Karine Zagaroli soutiennent que la susceptibilité peut provenir de difficultés à surmonter un complexe et notamment un sentiment d’infériorité (lié par exemple à une expérience passée ou une déficience physique).

Un manque de confiance en soi. Selon les mêmes auteurs, la personne susceptible manque souvent de confiance en elle et d’estime de soi, et attache beaucoup d’importance aux opinions d’autrui. De fait, elle cherche toujours un autre sens caché aux affirmations les plus anodines.


Des conseils pour ne plus vexer

Pour l’entourage comme pour la personne susceptible elle-même, il peut être utile de suivre les conseils suivants :

Dire merci après un compliment. Quelle que soit la valeur du compliment, remerciez son auteur. Le refuser peut parfois être perçu comme insultant.

Enrober la critique. Prenez soin de mettre une formule de précaution lorsque vous émettez une critique : « il me semble que », « je trouve que », « peut-être que je me trompe mais… ». Tâchez d’accompagner la critique de pistes de solution pour minimiser le risque de friction relationnelle. Vous pouvez également jouer sur l’aspect émotionnel : « cela me met à l’aise », « ça m’étonne », « ça m’embête »…

Accepter la critique. Prenez le parti de remercier systématiquement la bonne intention des auteurs de critiques ou de conseils à votre égard, même lorsqu’ils sont maladroits voire virulents. N’adoptez surtout pas le renvoi à l’autocritique, qui bien qu’efficace détériore et aggrave les relations.

Opter pour le sandwich de compliments. Lorsque vous devez exposer un avis en public, commencez par un compliment, placez la critique au milieu et finissez par un compliment. L’un des compliments peut porter sur le fond et l’autre sur la forme.

Avouer, présenter des excuses et pardonner. Veillez à ne pas reproduire trop de situations nécessitant de vous excuser : dire « pardon » des dizaines de fois par jour n’a plus du tout d’intérêt.

Santé ! 


Gabriel Combris

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