Pourquoi certains souvenirs s’effacent comme des rêves flous, tandis que d’autres restent gravés toute une vie ? Une nouvelle étude pourrait avoir trouvé la réponse ce qui ouvrirait la voie à des traitements dans la maladie d’Alzheimer pour ne plus perdre la mémoire.
Chaque jour, notre cerveau trie, hiérarchise et archive des bribes de vie — un mot gentil, une frayeur, une idée brillante — pour façonner l’histoire que nous racontons sur nous-mêmes. Mais ce tri n’est pas arbitraire. « Ce que nous choisissons de retenir est un processus en constante évolution plutôt qu'un simple déclenchement ponctuel », explique dans un communiqué publié hier, Priya Rajasethupathy, responsable du Laboratoire de la dynamique neuronale et de la cognition.
Pendant longtemps, les scientifiques pensaient que la mémoire fonctionnait en deux temps : d’abord l’hippocampe, pour le court terme, puis le cortex, où les souvenirs à long terme seraient stockés définitivement. « Les modèles existants de la mémoire dans le cerveau impliquent des molécules semblables à des transistors qui agissent comme des interrupteurs marche/arrêt », rappelle le Dr Rajasethupathy. Une vision aujourd’hui jugée trop simpliste : elle ne permet pas d’expliquer pourquoi certains souvenirs durent des semaines… et d’autres toute une vie.
Plusieurs régions du cerveau se relaient pour conserver ou oublier un souvenir
Les nouvelles données, publiées hier dans la revue Nature, révèlent un scénario bien plus complexe. Plusieurs régions du cerveau — l’hippocampe, le thalamus et enfin le cortex — se relaient pour prendre la décision cruciale : conserver ou oublier. Et ce travail se joue à travers une succession de minuteries moléculaires, chacune agissant à sa propre vitesse. Les premières s’activent rapidement et s’éteignent tout aussi vite, favorisant un oubli rapide. Les suivantes agissent plus lentement, mais confèrent au souvenir une résistance accrue au temps.
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont créé un modèle basé sur la réalité virtuelle chez la souris. En variant la fréquence de répétition de certaines expériences, ils ont pu « amener les souris à mieux se souvenir de certaines choses que d'autres, puis examiner leur cerveau pour voir quels mécanismes étaient corrélés à la persistance de la mémoire ».
Trois régulateurs maintiennent la mémoire dans le temps
Mais identifier des corrélations ne suffisait pas. Une plateforme de criblage CRISPR a permis aux scientifiques de manipuler des gènes dans le thalamus et le cortex : en supprimant certaines molécules, ils ont pu mesurer directement leur impact sur la durée des souvenirs.
Résultat : trois régulateurs — Camta1 et Tcf4 dans le thalamus, et Ash1l dans le cortex — se révèlent essentiels. Ils ne servent pas à créer la mémoire, mais à la maintenir dans le temps. Lorsque Camta1 et Tcf4 sont perturbés, les connexions entre le thalamus et le cortex s’effondrent… et les souvenirs aussi.
« À moins de promouvoir les souvenirs sur ces minuteries, nous pensons que vous êtes prêt à les oublier rapidement », souligne le Dr Rajasethupathy.
Surprise supplémentaire : Ash1l appartient à une famille de protéines également impliquées dans d’autres systèmes de mémoire du corps, notamment le système immunitaire. « Le cerveau pourrait réutiliser ces formes de mémoire pour soutenir les souvenirs cognitifs », avance la chercheuse.
Vers un nouveau médicament contre la maladie d’Alzheimer ?
L’enjeu dépasse la compréhension fondamentale. Ces minuteries pourraient un jour inspirer de nouvelles approches contre les maladies de la mémoire, comme Alzheimer. Si certaines régions du cerveau deviennent défaillantes, il pourrait devenir possible de « contourner la région endommagée et laisser les parties saines du cerveau prendre le relais », imagine Rajasethupathy.
La prochaine étape ? Comprendre ce qui active chaque minuterie, ce qui donne à un souvenir son importance… et sa durée de vie. En ligne de mire : le thalamus, désormais considéré comme un acteur central dans la consolidation des souvenirs. « Nous souhaitons comprendre le cycle de vie d'un souvenir au-delà de sa formation initiale dans l'hippocampe », résume la chercheuse. Et peut-être, un jour, apprendre au cerveau à retenir… ou à oublier.

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